« Il n’est pas nécessaire de vous avertir qu’il y a beaucoup de choses qui dépendent de l’action : on sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre. »
Molière, L’Amour médecin, extrait de l’avertissement au lecteur, 1665.
« À force de sagesse, on peut être blâmable »
Molière, Le Misanthrope, acte I scène 1, 1666.
L’édition 2020-2021 a pour sujet « La médecine comme théâtre, le théâtre comme médecine » … Il est ouvert à toute la jeunesse francophone, de 6 à 90 ans et plus. Faisant appel à la fantaisie et à la théâtralité, il se veut ludique et créatif : diverses catégories selon les âges, et divers thèmes par catégorie - « Les charlatans ont la parole », « Doctoinette.com ou les bons remèdes du docteur Toinette », « le bal des insensés », etc – sont ainsi proposés, permettant une participation individuelle ou collective (groupe ou classe). Pour vous inscrire au défi, c’est ici.
Dès aujourd’hui également, le site operation-moliere.net, qui ne cessera de s’enrichir au cours des deux ans à venir, propose des ressources en ligne de diverses natures (ressources pédagogiques, bibliographies, filmographie et sitographie, ressources historiques et iconographiques, …) et des outils qui se veulent à la fois ludiques et pédagogiques (fiches-atelier conçues par des artistes et des enseignants pour entrer dans l’étude de scènes par le jeu, des propositions d’œuvres contemporaines pour la jeunesse, un fil twitter…).
C’est sur ce site également que vous pourrez trouver les renseignements concernant les formations organisées dans le cadre de cette opération. À la suite du séminaire intitulé « Molière sur scène, Molière à l’École : regards croisés » suivi par plus de 90 personnes en octobre dernier, nous vous proposerons en effet des temps de formation de façon récurrente jusqu’en 2022.
Alors que l’année 2020 s’achève, et que la réouverture des théâtres est annoncée, retrouvons ainsi le plaisir du verbe et du jeu dans les salles, qu’elles soient de classe ou de spectacles !
Philippe Guyard
Pour en savoir plus
ANRAT c/0 F93 - 70 rue Douy Delcupe 93100 Montreuil
Conversation enregistrée le 21 novembre 2020 dans le cadre du festival I-nov-Art Théâtre Dijon Bourgogne - Centre dramatique national : www.tdb-cdn.com
Le comédien, président de l’Association des centres dramatiques nationaux, estime que les artistes ont un rôle à jouer, notamment auprès des jeunes, en cette période de crise sanitaire.
LE MONDE 4 novembre 2020 /Propos recueillis par Sandrine Blanchard
Comédien et metteur en scène, Robin Renucci est, depuis 2011, directeur du centre dramatique national (CDN) itinérant Les Tréteaux de France et, depuis 2017, président de l’Association des centres dramatiques nationaux, qui regroupe les trente-huit CDN qui maillent le territoire. Il est également membre du Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle.
Le secteur du spectacle vivant a obtenu que, contrairement au premier confinement, la création artistique puisse continuer grâce au maintien des répétitions de spectacles à huis clos et à des enregistrements d’œuvres sans public. Comment s’est faite la négociation ?
Cela fait suite à nos échanges collectifs entre les CDN et avec notre syndicat, le Syndeac. Nous voulions que soient tirés les enseignements de la première période de confinement pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. C’est-à-dire la fermeture complète des établissements, des artistes et acteurs de la vie culturelle cantonnés derrière des ordinateurs et à des interventions par Zoom. Il n’a pas été nécessaire de mener une lutte acharnée pour l’obtenir car c’est du bon sens. Nos lieux doivent pouvoir rester vivants et habités par les équipes artistiques. Mais ce sur quoi nous continuons à être très incisifs, c’est de nous voir rangés, par le gouvernement, dans la catégorie des « commerces non essentiels ». Là, ça ne passe pas.
Le service public de la culture n’est pas en état d’accomplir sa mission de continuité comme d’autres services publics tels que l’école ou La Poste. Or, dans cette période, plus que jamais, nous devons mener notre mission de service public, notamment vis-à-vis des jeunes. Il est indispensable de renforcer notre lien collectif à travers l’art et la culture. Il faut faire entendre que le service public de la culture – les CDN et les scènes labellisées par l’Etat –, payé par l’impôt de nos concitoyens, doit être davantage valorisé. Ce sont des lieux d’intérêt général.
Mais l’objectif actuel, pour lutter contre la transmission du virus, est de diminuer les interactions sociales et les déplacements. Cela semble incompatible avec l’ouverture des théâtres…
Nous ne cherchons pas à contourner les règles, la question sanitaire est première. On a toujours observé scrupuleusement les gestes barrières dans l’accueil du public. Mais il existe une autre question sanitaire qui n’est pas que biologique : c’est celle, problématique, du confinement mental. Il faut être davantage attentif à la destruction du champ symbolique que cela représente, pour deux raisons : le repli derrière ses volets et le repli sur des outils, des programmes déstructurants où on est dans la pulsionnalité. Quand je dis cela, je pense à la jeunesse. Dans le contexte actuel dominé par le numérique et les écrans, il serait salutaire d’offrir aux jeunes la confrontation sensible avec des œuvres qui les encouragent à développer leur esprit critique et leur discernement, à se forger des outils pour penser et pour se construire : à s’émanciper.
C’est pour cela que vous demandez également que l’éducation artistique et culturelle soit poursuivie et amplifiée au sein des établissements scolaires pendant cette crise ?
Puisque l’école, les collèges et lycées restent ouverts, poursuivons, en profondeur, les actions d’éducation artistique et culturelle pour éviter de se retrouver uniquement en situation de Covid et de Vigipirate. Nous alertons pour que cette période ne ferme pas les portes des établissements. Il faut que les artistes maintiennent leur présence au plus près d’une jeunesse durement frappée par la crise actuelle.
«Il est indispensable de renforcer notre lien collectif à travers l’art et la culture»
En cette période de laïcité, on a manqué l’occasion de mettre l’art, les acteurs et les auteurs dans les classes lundi matin 2 novembre lors de l’hommage au professeur d’histoire assassiné, Samuel Paty. On aurait pu le préparer. La conjonction entre artistes, éducation et art – le théâtre en particulier, car ses capacités pédagogiques n’ont jamais été aussi nécessaires – reste encore à affirmer dans notre pays. Il est temps de faire davantage appel aux artistes, aux auteurs pour qu’ils interviennent dans les établissements scolaires et participent à la construction collective du champ symbolique, aiguisent les sensibilités, suscitent le désir d’être élevé. L’art est une nourriture de première nécessité indispensable à l’individu. Il doit retrouver le chemin de l’école afin qu’on ne fasse pas, dès l’enfance, des citoyens qui se disent « l’art ce n’est pas pour moi ».
Et puis il faut réfléchir sur le Pass culture, réaffecter le budget de ce projet à d’autres missions car il ne sert ni l’éducation ni la pratique artistique.
Ces dernières semaines, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a perdu l’arbitrage sur l’assouplissement du couvre-feu pour les salles de spectacle et de cinéma. Le mot « culture » n’a pas été prononcé par Emmanuel Macron lors de son allocution annonçant un deuxième confinement et les librairies restent fermées. Qu’est-ce que tout cela vous inspire ?
Tout cela fait entendre et comprendre le peu d’intérêt que notre exécutif a pour l’art et la culture partagée par tous, avec tous. Roselyne Bachelot a fait ce qu’elle a pu. Elle nous suit. La question, c’est Emmanuel Macron. Le libéralisme et la pensée du court-termisme ne peuvent pas être liés à la temporalité de l’éducation artistique et culturelle d’un enfant tout au long de sa scolarité, à l’élévation permanente tout au long de la vie. Le capitalisme et le libéralisme ne cherchent pas à ce que les gens aient de l’esprit critique et du discernement.
Dans un confinement « idéal », que souhaiteriez-vous ?
Que le rôle des CDN soit davantage reconnu. Que des élèves puissent se rendre en petits groupes à des répétitions dans les lieux culturels proches de leurs établissements, que des intervenants du monde de la culture puissent continuer à entrer dans les classes. Il faut reparler des fondamentaux de l’école. Aller à l’école, c’est passer de la gesticulation au geste, du bavardage à la parole, de l’excitation à la concentration. Cela rejoint l’objet même du théâtre.
« Il existe une autre question sanitaire qui n’est pas que biologique : c’est celle, problématique, du confinement mental »
Nous ne sommes pas contre l’utilisation des outils techniques au service de l’émancipation, ou la captation des spectacles, mais rien ne remplace l’endroit cardinal de nos actions : être ensemble réunis dans un même lieu, tous singuliers, et regardant dans la même direction, dans un temps donné. Ça, c’est irremplaçable.
Alors que la crise sanitaire risque d’impacter durablement le secteur culturel, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Ni optimiste ni pessimiste, mais combatif. Les grandes histoires sont celles de la conjonction entre l’éducation et l’art. Il faut faire de la formation conjointe des artistes et des enseignants pour retrouver une politique de l’élévation populaire. Je crois sincèrement que les libéraux et capitalistes qui nous gouvernent savent très bien tout cela, mais qu’ils n’en veulent surtout pas. Ils connaissent parfaitement les théories d’Edward Bernays sur le marketing, la manipulation des masses, le consentement à la consommation. Il faut renverser tout cela afin qu’il y ait une autre autorité que celle du marketing.
Philippe Meirieu, professeur en sciences de l’éducation, est également un acteur des réformes éducatives, puisqu’il a notamment été, de 2010 à 2015, vice-président de la Région Rhône- Alpes délégué à la Formation tout au long de la vie. Auteur de nombreux ouvrages sur la pédagogie, il publie fin août Ce que l’école peut encore pour la démocratie (Editions Autrement). Il rappelle ici les limites de l’enseignement à distance imposée par la crise sanitaire. La classe est avant tout un collectif incarné, dit-il. Or, la logique individualiste qui a inspiré la philosophie de la continuité pédagogique perdure aujourd’hui dans l’apologie du télétravail. Face à cela, il propose une mobilisation collective et participative. Pour éviter un retour du « productivisme scolaire », il propose un enseignement notamment fondé sur l’accès à l’art et la culture.
Globalement, qu’a révélé la crise sanitaire dans le système éducatif
français ?
Tout le monde a légitimement souligné que cette crise était un formidable révélateur
des inégalités. C’est particulièrement vrai en matière éducative : les inégalités
matérielles et sociales, linguistiques et culturelles, ont fait exploser le semblant
d’unité du système. Et ceci jusqu’à une reprise partielle qui a souvent laissé de côté
ceux qui étaient les plus éloignés de l’école et a largement entériné les inégalités
territoriales : à la réouverture des écoles primaires, 10% des enfants du 93 ont été
scolarisés, contre 50% des petits Bretons… ce qui est d’autant plus préoccupant que
le niveau scolaire des premiers est déjà beaucoup plus bas que celui des seconds !
Ensuite, on a laissé les municipalités et les départements, avec les directeurs et
chefs d’établissements, gérer comme ils le pouvaient la contradiction entre
l’injonction faite aux familles d’envoyer leur enfant à l’école et un protocole sanitaire
qui ne permettait pas de les accueillir. Au total, le ministère a quasiment abandonné
toute ambition nationale et a laissé jouer les déterminismes sociaux et les inégalités
entre les territoires : cela a considérablement creusé les écarts. Tout cela a révélé
des fractures qu’on connaissait, mais qu’on ne pourra plus faire semblant d’ignorer et
sur lesquelles il est temps d’agir1.
1 Voir, sur ces points, l’analyse de l’auteur pour LE CAFE PEDAGOGIQUE :
Professeur de pédagogie, Philippe Meirieu s’interroge sur l’école aujourd’hui dispensée à distance et les difficultés induites pour les élèves les moins favorisés. Avant les problèmes de la reprise future… (Cet article est paru dans POLITIS en accès libre. Politis ne vit que par ses lecteurs, en kiosque, sur abonnement papier et internet, Ce choix a un coût, aussi, pour contribuer et soutenir son indépendance, achetez Politis, abonnez-vous.)
Théoricien et pédagogue progressiste reconnu, Philippe Meirieu travaille depuis longtemps sur l’école, et particulièrement sur les inégalités entre enfants, qui handicapent sa mission émancipatrice et éducatrice. Depuis la fermeture générale des établissements scolaires en France en raison de la crise du Covid-19, il analyse les problèmes suscités par l’enseignement à distance via Internet. Face à la «fracture numérique» et aux inégalités sociales, il rappelle notamment le rôle essentiel, pour le développement des enfants, de l’institution scolaire, indispensable lieu de collectif et de solidarité.
Vous expliquez dans un texte récent que cette crise du coronavirus a montré, «en creux», «l’importance de faire la classe, ou de faire l’école», qui est indissociable d’un «espace-temps collectif et ritualisé où la parole a un statut particulier». Mais, surtout, combien «les outils numériques d’aujourd’hui semblent porteurs d’une logique individuelle et techniciste». En quoi ces outils pèchent-ils en matière d’éducation?
Philippe Meirieu: Je voudrais remonter un peu dans le temps pour rappeler ce qui est au fondement de l’école républicaine, chez Jules Ferry mais surtout chez celui qui en a théorisé le projet: Ferdinand Buisson. Il a souligné dans son célèbre Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire que l’école n’est pas simplement un lieu pour apprendre, mais un lieu pour «apprendre ensemble». Et le mot «ensemble» est tout aussi important que celui d’«apprendre» !
Dès le départ, cela a été un projet très clair et très explicite de la République, qui a ensuite été fortement revivifié après la guerre de 1914-1918, lorsqu’est né un grand mouvement d’intellectuels, d’universitaires et d’ouvriers qui s’appelait les Compagnons de l’université nouvelle, et dont le principal slogan était qu’il fallait que les fils et les filles de ceux qui avaient veillé ensemble dans les mêmes tranchées puissent apprendre, côte à côte, sur les bancs de la même école. Cette volonté a été réaffirmée par la suite de façon assez extra-ordinaire par celui qui fut sans doute le meilleur ministre français de l’Éducation nationale, Jean Zay, au cours des gouvernements du Front populaire. Il a vraiment fait de cette rencontre entre les individus pour construire du commun le cœur de l’école républicaine. Enfin, c’est le projet que l’on trouve au centre du texte issu du Conseil national de la Résistance, le plan Langevin-Wallon, qui demeure mythique en la matière pour la gauche: l’idée d’une école commune qui est l’institution d’un collectif et d’une préfiguration d’un lien social, donc de la société.
Par rapport à ces enjeux, on a vu pourtant monter, ces dernières années, l’idée que le numérique allait pouvoir se substituer à l’école.
Comment cela s’exprime-t-il?
Chaque année se déroule à Doha un grand forum, le World International Summit of Education (Wise), financé par la troisième épouse de l’émir du Qatar, où l’on invite les grands seigneurs du numérique, en particulier des Gafam (1). D’année en année, on voit monter en puissance l’influence de ce Wise, qui en est à sa neuvième édition et qui, récemment, s’est décentralisé, notamment en France, avec la participation des plus grands journaux du pays.
L’idée peu à peu mise en avant est que la classe, l’école, serait une forme obsolète d’enseignement qu’il s’agirait de remplacer par un système (qui est déjà dans les tuyaux de Google) où l’on testerait les enfants d’une manière systématique pour savoir comment ils fonctionnent sur le plan de leur intelligence. À partir de là, chaque individu se verrait proposer un programme d’enseignement strictement personnel qui serait, évidemment, vendu aux familles et permettrait aux enfants de suivre de chez eux, sur ordinateur, toutes les matières grâce à un serveur géant potentiellement situé dans les îles Caïmans pour être défiscalisé!
Si vous prenez les comptes rendus annuels du Wise (par exemple dans Le Monde, qui est partenaire de ce «sommet» et dont le Qatar achète en outre des pages pour en faire la publicité), vous vous apercevez que les Gafam, en particulier une société comme Microsoft, misent des sommes absolument colossales sur une telle perspective à court ou moyen terme… Les enjeux financiers sont énormes et ces projets sont relayés en France par ceux qu’on appelle les «EdTech», c’est-à-dire les entreprises qui proposent de nouvelles «technologies d’éducation» et veulent vendre des logiciels individuels.
Ce qui, selon vous, serait source d’un certain nombre de problèmes…
Une telle perspective est porteuse d’une série de problèmes extrêmement graves. Tout d’abord, bien sûr, le fait de tester tous les enfants à partir d’un certain âge et de considérer que le résultat dicterait inévitablement leur développement futur – comme s’il n’y avait pas d’événements susceptibles de venir modifier leur histoire. Ensuite, cette évaluation – figée à un moment donné à partir du comportement de l’enfant relevé sur un ordinateur ou une tablette – permettra la construction de logiciels supposés être adaptés à tout ce qu’on aurait détecté chez cet enfant comme aptitudes, préférences, modes de fonctionnement, stratégies d’apprentissage, etc.
Les laudateurs d’une telle proposition expliquent qu’il faut absolument que les Français s’y mettent car, sinon, ce seront des logiciels états-uniens qui emporteront ce marché gigantesque. Il y a là des intérêts financiers colossaux puisqu’un des enjeux de la crise que nous traversons actuellement est de savoir si les Gafam vont se trouver renforcés et devenir des super-États aux pouvoirs immenses, ou si l’on va se réapproprier le numérique dans le cadre d’une économie contributive. Par exemple, même si malheureusement on ne semble pas du tout en prendre le chemin, va-t-on délibérément utiliser les logiciels libres plutôt que ceux des Gafam? Va-t-on privilégier l’économie contributive, participative, même si elle est encore tâtonnante, à l’instar de Wikipedia, qui est une encyclopédie contributive? Ou les Gafam sortiront-ils grands vainqueurs de cette crise? Et, dans le fonctionnement même de l’école, parviendront-ils à prendre un rôle de plus en plus important pour ce qui concerne la relation pédagogique et la transmission des savoirs? C’est là un enjeu économique, sociétal et pédagogique majeur, car, si c’était le cas, on assisterait à une forme d’homogénéisation, d’individualisation, de fragmentation et surtout de financiarisation de l’éducation.
Cette inquiétude s’étend aussi au rôle de l’enseignant lui-même…
Tout à fait. Il faut rappeler que l’enseignant n’est pas seulement un distributeur et un correcteur de cours et d’exercices, de fiches et de logiciels. L’enseignant est un expert de l’apprentissage; c’est quelqu’un qui prend des informations dans la classe, qui observe, adapte, régule, qui utilise des outils mais les modifie aussi peu à peu, et qui est capable de créer de l’entraide, de l’interaction, de la coopération, donc de susciter du commun.
On parle aujourd’hui de solidarité à tout-va, et l’on découvre en effet que nous avons tous un destin commun du fait du virus. Mais la question posée est de savoir si l’école sera capable de continuer à créer du commun, ou si elle se bornera à juxtaposer des élèves devant des ordinateurs. Un tel modèle, qui se serait infiltré à l’occasion du confinement, ne va-t-il pas progressivement s’imposer au détriment du caractère collectif, instituant de l’école, et de sa fonction fondamentale, qui est de permettre aux enfants de découvrir que le bien commun n’est pas la somme des intérêts individuels?
Vous venez d’esquisser ce que serait l’école du pire. Mais quelle école appelez-vous de vos vœux?
Il est incontestable que l’enseignement à distance, via le numérique, creuse les inégalités. Sans même aborder la question de l’accès au numérique en tant que tel, celui-ci accroît les inégalités puisqu’il met en lumière une certaine acculturation. Si je cite quelques vers d’un poème de Paul Valéry et que je veux chercher son auteur, il est certain qu’il me faut déjà le connaître. Si je ne le connais pas, je ne peux pas le chercher. C’est là un des exemples les plus basiques montrant que le numérique accroît les inégalités entre élèves.
Le numérique est utile pour ceux qui peuvent être considérés comme «moyens» ou «bons» (avec tous les guillemets de rigueur) et «appliqués» ou «consciencieux». On leur donne ainsi des exercices à faire, on leur propose des textes à lire, on leur suggère des activités à réaliser… En général, ils le font, et cela peut leur profiter. En revanche, le problème apparaît clairement pour leurs camarades qui seraient moins «doués», c’est-à-dire ceux pour qui la motivation pour le travail n’est pas déjà présente, ceux qui ne savent pas s’organiser et qui ne savent pas faire les distinctions élémentaires entre ce qui est le plus utile et ce qui est le plus facile. Car la caractéristique d’un «bon élève», c’est qu’il va le plus souvent commencer par le plus difficile, parce qu’il sait ce qu’est le plus utile. Et ce qui est le plus facile, il ne le fera pas, parce qu’il sait déjà le faire. Alors que l’élève en difficulté commencera par le plus facile et ce qu’il sait déjà faire, et ne fera pas le plus difficile, ou ce qu’il ne sait pas faire, ou ce qui lui paraît le plus difficile. On voit bien là que le simple fait de proposer, par des systèmes à distance, des exercices standardisés creusera les inégalités.
Le président Macron a dit lui-même la nécessité de lutter contre les inégalités, reconnaissant ainsi que l’enseignement à distance les augmentait, et c’est la raison pour laquelle il appelle à la réouverture des écoles le 11 mai. Bien sûr, on peut s’interroger sur les réelles motivations de cette mesure, qui pourraient être d’abord économiques dans la mesure où elles permettront aux parents de retourner au travail.
Sait-on dans quelle mesure les inégalités se sont accrues?
Jean-Michel Blanquer a évoqué un chiffre entre 5% et 8% d’élèves qui ont «décroché». À ce jour, on a une idée imprécise du nombre d’élèves avec lesquels on a pu établir un contact par téléphone, via le numérique ou par la distribution de documents papier – qui n’a commencé qu’il y a deux semaines. Si mes informations sont exactes (à travers notamment un sondage de France Info auprès de seulement quelques lycées), la proportion d’élèves soit qui auraient complètement décroché, soit qui ne sont pas suivis régulièrement par les professeurs, soit qui n’ont rendu que quelques exercices ponctuellement s’élèverait autour de 40% dans les lycées -professionnels, et au minimum à 20% dans les autres établissements. Ce qui est loin d’être négligeable! C’est pourquoi je dis qu’il faut arrêter de totémiser le numérique. En fait, cela ne résout des problèmes que pour ceux qui n’ont pas de problèmes, c’est-à-dire ceux qui ont déjà envie d’apprendre, qui sont déjà autonomes et qui ont un environnement familial favorable. Pour les autres, on n’entrera jamais en concurrence avec les jeux vidéo et les séries de Netflix!
Pour autant, le numérique n’a-t-il que des aspects négatifs?
On constate qu’aussi bien les professeurs que les élèves renvoient à la nécessité d’avoir du collectif. Ce collectif est très compliqué à construire par le numérique, mais il y a des collègues qui y parviennent. On observe également que certains professeurs arrivent à créer des relations entre leurs élèves, c’est-à-dire à susciter de l’écriture collective. J’en ai même vu qui font du théâtre via le numérique! Mais cela reste très difficile à construire et l’immense majorité des enseignants n’est pas formée à cela. En outre, les outils dont nous disposons n’y invitent pas spontanément. Ce ne sont pas vraiment des éléments d’une économie contributive, où le numérique serait un instrument de coopération. Le numérique tel qu’il est aujourd’hui reste guidé par des intérêts financiers qui en font, pour l’essentiel, un outil de consommation. Or nos enfants, pour apprendre mais aussi pour leur équilibre personnel, ont d’abord besoin du collectif.
Vous réjouissez-vous alors de la reprise des cours annoncée pour le 11 mai?
En dépit de tout ce que je viens de dire, je suis très partagé. Comme la plupart des enseignants, je suis très inquiet d’une reprise de la pandémie, de la survenue d’une -deuxième vague. J’ai peur qu’en l’absence de préparation, sans désinfection complète des écoles, avec le manque de masques, l’épidémie ne reprenne. Mais, en même temps, j’observe qu’il y a beaucoup d’enfants dont la solitude scolaire est très grande, y compris lorsqu’ils ont plusieurs frères et sœurs, qu’ils vivent très mal cette situation et qu’ils ont maintenant un grand besoin de collectif. Tous les psychologues le disent depuis longtemps: un enfant ne se développe pas sans un contact avec un groupe. En outre – et j’avais déjà cette conviction avant la crise –, un enfant ne se développe bien que dans la coopération avec les autres.
L’école que j’appelle de mes vœux est une école de la solidarité. La concurrence sera supplantée par une solidarité plus grande, où les élèves (et les profs, d’ailleurs) ne seront pas systématiquement mis en situation d’être évalués en permanence sur des contenus standardisés, mais plutôt de contribuer à des projets collectifs. J’espère que c’est vers cela qu’on va, mais rien n’est joué aujourd’hui. Le risque existe qu’on choisisse au contraire la voie d’un individualisme exacerbé et d’un désir accru d’arrivisme individuel.
(1)Acronyme pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, soit les cinq plus grandes sociétés de l’internet, dont les budgets équivalent, voire dépassent, ceux des États les plus riches de la planète…
Philippe Meirieu Professeur de sciences de l’éducation et de la pédagogie à l’université de Lyon-II.
Les interventions de Philippe Meirieu pendant la crise du Coronavirus sont rassemblées ICI
Reçu ce soir de notre ami Philippe TORRETON
ce clin d’œil 😉
A déguster et à faire partager !
Et que faudrait-il faire?
Chercher un professeur puissant, prendre un patron?
Et comme un de ces adeptes de théories à la con
Qui s’en fait des raisons et camelotes à vendre
Chercher partout le pire au lieu de s’élever à comprendre?
Non merci. Dédier comme tous ils le font,
Du crédit aux fake news? Se changer en couillon?
Et surgonfler les rangs de ces troupeaux bêlants
Qui pensent comme on crache et parlent en vomissant?
Non merci. Déjeuner chaque jour de rumeurs?
Avoir la pensée rongée par le fiel? Un cœur
Qui plus vite à l’aune de la bonté devient sale?
Exécuter des tours de souplesse morale?
Non merci! D’une main flatter le peuple au licol
Cependant que de l’autre on arrose des pactoles?
Et donneur de leçon par désir d’exister
Ne s’appliquer à soi ce qu’à d’autres on soumet?
Non merci! Se pousser de caddies en caddies
Devenir un « Janvier » au coffre bien garni
Et laisser pour les autres rien que des rayons vides
En râlant aux caissières ta hargne plein de covid?
Non merci! Chez le bon épicier du quartier
Coller dans la file aux basques des gens ? Non merci!
S’aller faire un footing dans les rues de Paris
Alors que d’ordinaire on reste dans son lit?
Non merci! Travailler à faire moult pressions
Pour dissuader l’infirmière de rentrer? Non
Merci! Ne rien chercher à comprendre ni voir
Prendre pour argent comptant tout ce qui tombe des comptoirs
Et se dire sans cesse: « si ça ne tenait qu’à moi
Je pass’rai par les armes tous ces foutus chinois! »
Non merci! Dénoncer critiquer à la pelle
Préférer la télé que prendre des nouvelles
Relayer la laideur de l’inhumanité?
Non merci non merci non merci! Mais chanter
Même sous un masque, se tenir à distance,
Mais sans repli sur soi, apprendre la patience,
Réfléchir à sa vie, faire le tri des vieilles choses
Séparer le bon grain de l’ivraie qui sclérose.
Lire, apprendre par cœur, découvrir d’autres mondes
Réfléchir à demain, semer l’idée féconde
D’un meilleur avenir, loin des bruyantes sirènes
De ce monde marchand qui se trouve bien en peine
De nous fournir en masques et vaccins à la chaîne
Qui fait mourir ses vieux et crève ses infirmières
Pour des bouts de chandelles et salaires de misères!
Réfléchir au futur, à notre mère nature,
Et laisser de quoi vivre à nos progénitures.
Et puis, en attendant ce monde moins injuste
A défaut d’Hyppocrate essayons d’être juste:
Célébrons tous les soirs, le personnel soignant
À s’en rompre les mains et déchirer nos gants.
Bref dédaignant profits et petits esprits veules
Monter enfin très haut et surtout pas tout seul...
CONTINUITE PEDAGOGIQUE au Lycée.
Voici le document que réalisé pour la continuité pédagogique à la demande du Ministère, du CNED (Enseignement à distance) et de Canopé. Il permet aux parents, aux professeurs et aux lycéens d’avoir à la fois :
- Un rappel des passages des programmes officiels de Français / Lettres de Seconde et Première qui parlent du Théâtre
- Le relevé des ressources qu’ils peuvent consulter.en ligne, avec un lien direct
Cette formation s’adresse aux intervenant.e.s théâtre en milieu scolaire dans le cadre de différents dispositifs, et/ou ateliers auprès de jeunes hors temps scolaire. Selon les contextes, les artistes doivent de plus en plus réinventer les conditions de leurs interventions ; ils sont ainsi amenés à questionner les projets, leurs cadres et objectifs, parfois tous, pour les aménager au mieux et garantir un encadrement propice au jeu et à la créativité.
Ce sont ces différents aspects que l’on se propose d’aborder dans cette nouvelle session du stage l’art et la manière, par l’intermédiaire d’études de cas et d’expérimentationde formats théâtraux adaptés à des conditions d’intervention souvent de plus en plus courtes.
FORMATEURS
Jean Bauné. Enseignant au collège Molière (Maine-et-Loire) où il a créé la classe théâtre dans les années 80, militant de l’Éducation Populaire, notamment aux CEMEA (Centres d’Entrainement aux Méthodes d’Éducation Active) et au Festival d’Avignon, il a créé le secteur Théâtre- Éducation au Centre Dramatique National Angers Pays de la Loire. Co-auteur avec Dany Porché du DVD Du jeu au théâtre (Canopé).
Bernard Grosjean est directeur de la Compagnie Entrées de Jeu (spécialisée dans le théâtre d’intervention). Spécialiste des questions de théâtre-éducation, il enseigne à l’Institut d’Études Théâtrales de Paris III. Il a notamment publié Coups de théâtre en classe entière (en collaboration avec Chantal Dulibine) et Dramaturgies de l’atelier-théâtre 1 et 2 (Éditions Lansman).
RENSEIGNEMENTS, CONDITIONS & INSCRIPTIONS
• lettre de motivation, CV et photo • Envoi des candidatures jusqu’au 8 février20 • Inscription gratuite • organisation et prise en charge du séjour par le Quai CDN
• contact : Marie-Alix Escolivet / 02 44 01 22 44 / marie-alix.escolivet@lequai-angers.eu Le Quai CDN, 17 rue de la Tannerie - CS 30114, 49101 Angers Cedex 02
TRIBUNE. Face aux inquiétudes que suscitent certaines candidatures étudiées pour diriger les Centres dramatiques nationaux, Robin Renucci, directeur des Trétaux de France, souligne, dans une tr...