Pour l'éducation populaire
Publié le 9 Mars 2022
Les premières Rencontres nationales de l’éducation populaire auront lieu à Poitiers du 17 au 19 mars 2022. Une réponse politique, sociale et culturelle aux enjeux de demain. Nos amis Robin Renucci et Philippe Meirieu y participeront. Ils écrivent dans Libération
par Robin Renucci, directeur des Tréteaux de France-Centre dramatique national, président de l’Aria
Une société comme la nôtre, complexe et en bouleversements accélérés, est forcément et nécessairement conflictuelle. Elle doit être en mesure de reconnaître ses divisions et savoir les affronter. Elle doit libérer les espaces permettant l’expression des contradictions et de la souffrance sociale. En période électorale cette nécessité est accrue.
Je milite avec les diverses équipes qui m’entourent, en nous saisissant de la création théâtrale, pour mettre en œuvre tout ce qui peut permettre aux femmes et aux hommes d’être individuellement et collectivement actrices et acteurs de leur destin, et du destin commun. Pour qu’ils se réapproprient les conditions de leur travail et de leur vie, jusqu’à la marche même de la société.
Le développement de l’art et de la culture est profondément connecté à celui de l’éducation en général et de l’éducation populaire en particulier.
Education par l’art
Pour développer le champ de l’éducation populaire dans les crises que nous traversons, il y a une urgence à replacer les politiques publiques de la culture dans une relation de correspondance au monde social. Cela suppose plus d’audace dans la pensée, une libération des imaginaires, une forte capacité d’invention, un meilleur partage de l’information, des prises de délibération partagées pour des fonctionnements pleinement démocratiques.
Proposons quelques orientations : d’abord, renforcer le soutien à la création artistique dans son indépendance et sa diversité. La création est par essence insoumise et incertaine ; il faut l’encourager pour qu’elle n’obéisse pas aux lois du marché. La création n’est pas une compétence exclusive de quelques-uns, un domaine réservé, mais chacun, chacune à sa façon est appelé à y trouver sa part.
Ensuite, il est nécessaire de promouvoir une éducation par l’art. Nous devons multiplier les expériences esthétiques à tous les âges de la vie et à tous les niveaux de la formation. Formation, recherche, création, diffusion, médiation. Ces éléments constituent un service public de la culture à préserver, rénover et développer, au-delà des institutions de prestige.
Enfin, favoriser la plus large participation à la vie artistique et culturelle de toutes et tous demeure l’enjeu démocratique majeur. Dans cet objectif, trois actions immédiates s’imposent.
Pertinence sociale et culturelle
Pour la création artistique : compléter le principe de la liberté de création inscrit dans la loi du 7 juillet 2016 par des garanties de diversité dans la production et la diffusion des œuvres, encourager le partage des outils de création, consolider le soutien à la formation et à l’emploi, permanent et intermittent.
Pour l’éducation artistique : renforcer, dans les programmes, les espaces et les temps scolaires, la réalisation de projets menés conjointement par les enseignants et les artistes, développer la formation des différents acteurs, dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation, les écoles d’art, les formations des administrateurs et médiateurs, mobiliser les crédits nécessaires pour rendre effectif le parcours artistique et culturel inscrit dans la loi de refondation de l’école.
Pour la participation des citoyens : augmenter les expériences de travail artistique avec les populations, les pratiques en amateurs et la collaboration avec les professionnels, ajouter aux critères de qualité artistique celui de la pertinence sociale et culturelle évaluée de façon collégiale sur des indices davantage qualitatifs que quantitatifs.
Création, formation, éducation artistique et éducation populaire doivent se conjuguer et se réinventer ensemble.
par Philippe Meirieu, chercheur, professeur des universités en sciences de l'éducation
Dans «éducation populaire», il y a d’abord «éducation». Et qui dit «éducation», dit «éducation de toutes et tous sans condition». Tant qu’on n’a pas épuisé tous les moyens pour éduquer quelqu’un, on n’a pas le droit de dire qu’il est inéducable. Et, puisqu’on ne sait jamais si l’on a épuisé tous les moyens pour y parvenir, impossible de se résigner à l’échec. C’est pourquoi les militantes et les militants de l’éducation populaire refusent que, face aux problèmes de nos sociétés, on ne mobilise que la sanction, la répression et l’exclusion : ils exigent que l’on fasse le pari de la prévention et de l’éducation. Ils savent que ce pari n’est guère du goût des technocrates car ses résultats sont toujours difficiles à mesurer. Mais ils sont convaincus qu’il faut inlassablement s’attaquer aux causes plutôt que de tenter de camoufler les symptômes de nos maux. Ils savent aussi qu’en matière éducative, rien n’est jamais définitivement gagné : on ne forme pas des sujets comme on fabrique des objets. On crée des situations, on mobilise des ressources, on accompagne des personnes pour qu’elles comprennent ce qui leur arrive et mobilisent leur liberté. Pas de victoire définitive dans cette affaire, mais une obstination besogneuse au quotidien, au plus près des gens et, en particulier, des «gens de peu».
Car, dans «éducation populaire», il y a aussi «populaire». Pas une éducation «populiste»… mais tout le contraire, précisément : une éducation «exigeante». Loin des slogans manichéens et des logiques de boucs émissaires, de l’emprise des marques ou des gourous, l’éducation populaire veut faire partager une culture qui permet de s’ouvrir à l’altérité et de créer du commun, de reconnaître les différences entre les êtres et les cultures tout en activant les solidarités entre eux. Entreprise difficile aussi et sans cesse à remettre en chantier. Car il n’est pas possible, ici, de se contenter d’une politique de l’offre et d’attendre le «client» intéressé en regrettant l’indifférence ou l’hostilité des autres : il faut aller au-devant de toutes et tous et, en particulier, de celles et ceux qui sont les plus éloignés des savoir-faire et des savoirs qui émancipent. Proposer. Reproposer sans cesse, jusqu’à ce que les personnes se saisissent de ce qui leur permettra de se dépasser, de se libérer de tous les enfermements, d’échapper à tous les processus d’assignation à résidence pour, ensemble, «se faire œuvre d’elles-mêmes».
Parce qu’elles sont mobilisées contre toutes les formes de fatalité, les associations d’éducation populaire sont l’oxygène de la démocratie. C’est pourquoi il faudrait que la République les considère, enfin, non plus comme des prestataires de services mais comme de véritables partenaires du service public de l’éducation.