Publié le 24 Mars 2022

Un séminaire sur les troupes de théâtre en milieu scolaire

Lundi 22 mars 2022, Robin Renucci est intervenu dans le séminaire de l'éducation nationale à propos de la mise en place des "troupes" de théâtre dans les collèges et les lycées

Voir les commentaires

Rédigé par Collectif pour l'éducation par l'art

Repost0

Publié le 9 Mars 2022

Les premières Rencontres nationales de l’éducation populaire auront lieu à Poitiers du 17 au 19 mars 2022. Une réponse politique, sociale et culturelle aux enjeux de demain. Nos amis Robin Renucci et Philippe Meirieu y participeront. Ils écrivent dans Libération 

Politiques publiques de la culture:
«Pour une libération des imaginaires»

par Robin Renucci, directeur des Tréteaux de France-Centre dramatique national, président de l’Aria

Une société comme la nôtre, complexe et en bouleversements accélérés, est forcément et nécessairement conflictuelle. Elle doit être en mesure de reconnaître ses divisions et savoir les affronter. Elle doit libérer les espaces permettant l’expression des contradictions et de la souffrance sociale. En période électorale cette nécessité est accrue.

Je milite avec les diverses équipes qui m’entourent, en nous saisissant de la création théâtrale, pour mettre en œuvre tout ce qui peut permettre aux femmes et aux hommes d’être individuellement et collectivement actrices et acteurs de leur destin, et du destin commun. Pour qu’ils se réapproprient les conditions de leur travail et de leur vie, jusqu’à la marche même de la société.

Le développement de l’art et de la culture est profondément connecté à celui de l’éducation en général et de l’éducation populaire en particulier.

Education par l’art

Pour développer le champ de l’éducation populaire dans les crises que nous traversons, il y a une urgence à replacer les politiques publiques de la culture dans une relation de correspondance au monde social. Cela suppose plus d’audace dans la pensée, une libération des imaginaires, une forte capacité d’invention, un meilleur partage de l’information, des prises de délibération partagées pour des fonctionnements pleinement démocratiques.

Proposons quelques orientations : d’abord, renforcer le soutien à la création artistique dans son indépendance et sa diversité. La création est par essence insoumise et incertaine ; il faut l’encourager pour qu’elle n’obéisse pas aux lois du marché. La création n’est pas une compétence exclusive de quelques-uns, un domaine réservé, mais chacun, chacune à sa façon est appelé à y trouver sa part.

Ensuite, il est nécessaire de promouvoir une éducation par l’art. Nous devons multiplier les expériences esthétiques à tous les âges de la vie et à tous les niveaux de la formation. Formation, recherche, création, diffusion, médiation. Ces éléments constituent un service public de la culture à préserver, rénover et développer, au-delà des institutions de prestige.

Enfin, favoriser la plus large participation à la vie artistique et culturelle de toutes et tous demeure l’enjeu démocratique majeur. Dans cet objectif, trois actions immédiates s’imposent.

Pertinence sociale et culturelle

Pour la création artistique : compléter le principe de la liberté de création inscrit dans la loi du 7 juillet 2016 par des garanties de diversité dans la production et la diffusion des œuvres, encourager le partage des outils de création, consolider le soutien à la formation et à l’emploi, permanent et intermittent.

Pour l’éducation artistique : renforcer, dans les programmes, les espaces et les temps scolaires, la réalisation de projets menés conjointement par les enseignants et les artistes, développer la formation des différents acteurs, dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation, les écoles d’art, les formations des administrateurs et médiateurs, mobiliser les crédits nécessaires pour rendre effectif le parcours artistique et culturel inscrit dans la loi de refondation de l’école.

Pour la participation des citoyens : augmenter les expériences de travail artistique avec les populations, les pratiques en amateurs et la collaboration avec les professionnels, ajouter aux critères de qualité artistique celui de la pertinence sociale et culturelle évaluée de façon collégiale sur des indices davantage qualitatifs que quantitatifs.

Création, formation, éducation artistique et éducation populaire doivent se conjuguer et se réinventer ensemble.

Education populaire : de l’oxygène pour la démocratie

par Philippe Meirieu, chercheur, professeur des universités en sciences de l'éducation

Dans «éducation populaire», il y a d’abord «éducation». Et qui dit «éducation», dit «éducation de toutes et tous sans condition». Tant qu’on n’a pas épuisé tous les moyens pour éduquer quelqu’un, on n’a pas le droit de dire qu’il est inéducable. Et, puisqu’on ne sait jamais si l’on a épuisé tous les moyens pour y parvenir, impossible de se résigner à l’échec. C’est pourquoi les militantes et les militants de l’éducation populaire refusent que, face aux problèmes de nos sociétés, on ne mobilise que la sanction, la répression et l’exclusion : ils exigent que l’on fasse le pari de la prévention et de l’éducation. Ils savent que ce pari n’est guère du goût des technocrates car ses résultats sont toujours difficiles à mesurer. Mais ils sont convaincus qu’il faut inlassablement s’attaquer aux causes plutôt que de tenter de camoufler les symptômes de nos maux. Ils savent aussi qu’en matière éducative, rien n’est jamais définitivement gagné : on ne forme pas des sujets comme on fabrique des objets. On crée des situations, on mobilise des ressources, on accompagne des personnes pour qu’elles comprennent ce qui leur arrive et mobilisent leur liberté. Pas de victoire définitive dans cette affaire, mais une obstination besogneuse au quotidien, au plus près des gens et, en particulier, des «gens de peu».

Car, dans «éducation populaire», il y a aussi «populaire». Pas une éducation «populiste»… mais tout le contraire, précisément : une éducation «exigeante». Loin des slogans manichéens et des logiques de boucs émissaires, de l’emprise des marques ou des gourous, l’éducation populaire veut faire partager une culture qui permet de s’ouvrir à l’altérité et de créer du commun, de reconnaître les différences entre les êtres et les cultures tout en activant les solidarités entre eux. Entreprise difficile aussi et sans cesse à remettre en chantier. Car il n’est pas possible, ici, de se contenter d’une politique de l’offre et d’attendre le «client» intéressé en regrettant l’indifférence ou l’hostilité des autres : il faut aller au-devant de toutes et tous et, en particulier, de celles et ceux qui sont les plus éloignés des savoir-faire et des savoirs qui émancipent. Proposer. Reproposer sans cesse, jusqu’à ce que les personnes se saisissent de ce qui leur permettra de se dépasser, de se libérer de tous les enfermements, d’échapper à tous les processus d’assignation à résidence pour, ensemble, «se faire œuvre d’elles-mêmes».

Parce qu’elles sont mobilisées contre toutes les formes de fatalité, les associations d’éducation populaire sont l’oxygène de la démocratie. C’est pourquoi il faudrait que la République les considère, enfin, non plus comme des prestataires de services mais comme de véritables partenaires du service public de l’éducation.

Voir les commentaires

Rédigé par Collectif pour l'éducation par l'art

Repost0

Publié le 10 Février 2022

 

Un livre de Jean-François Marguerin et Bernard Latarjet.

Après un vaste tour d'horizon de l'évolution du champ culturel, les auteurs nous offrent, notamment, une réflexion approfondie sur la nécessité d'une priorité à l'éducation. Un livre bienvenu pour accompagner l'indispensable débat sur "le monde d'après"... A vos lectures !

Voir les commentaires

Rédigé par Collectif pour l'éducation par l'art

Repost0

Publié le 11 Mai 2021

Master Culture et Communication de l’Institut national supérieur de l’Éducation artistique
Les candidatures 2021-2022 en formation initiale et en formation continue professionnelle au master Culture et Communication de l’Institut national supérieur de l’Éducation artistique et culturelle du Cnam sont ouvertes jusqu’au 28 mai 2021, premier master en France dédié à la formation de professionnels de haut niveau en Éducation artistique et culturelle.

Voir les commentaires

Rédigé par Collectif pour l'éducation par l'art

Repost0

Publié le 5 Décembre 2020

« Il n’est pas nécessaire de vous avertir qu’il y a beaucoup de choses qui dépendent de l’action : on sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre. »
Molière, L’Amour médecin, extrait de l’avertissement au lecteur, 1665.

 

« À force de sagesse, on peut être blâmable »
Molière, Le Misanthrope, acte I scène 1, 1666.

Dans le cadre de l’opération Molière, l’ANRAT lance aujourd’hui le défi «LIBÉRONS MOLIÈRE ! Poquelin, un ami qui nous veut du bien» auquel vous pouvez participer jusqu’au 2 mai 2021.

L’édition 2020-2021 a pour sujet « La médecine comme théâtre, le théâtre comme médecine » … Il est ouvert à toute la jeunesse francophone, de 6 à 90 ans et plus. Faisant appel à la fantaisie et à la théâtralité, il se veut ludique et créatif : diverses catégories selon les âges, et divers thèmes par catégorie - « Les charlatans ont la parole », « Doctoinette.com ou les bons remèdes du docteur Toinette », « le bal des insensés », etc – sont ainsi proposés, permettant une participation individuelle ou collective (groupe ou classe). Pour vous inscrire au défi, c’est ici.
Dès aujourd’hui également, le site operation-moliere.net, qui ne cessera de s’enrichir au cours des deux ans à venir, propose des ressources en ligne de diverses natures (ressources pédagogiques, bibliographies, filmographie et sitographie, ressources historiques et iconographiques, …) et des outils qui se veulent à la fois ludiques et pédagogiques (fiches-atelier conçues par des artistes et des enseignants pour entrer dans l’étude de scènes par le jeu, des propositions d’œuvres contemporaines pour la jeunesse, un fil twitter…).
C’est sur ce site également que vous pourrez trouver les renseignements concernant les formations organisées dans le cadre de cette opération. À la suite du séminaire intitulé « Molière sur scène, Molière à l’École : regards croisés » suivi par plus de 90 personnes en octobre dernier, nous vous proposerons en effet des temps de formation de façon récurrente jusqu’en 2022.

Alors que l’année 2020 s’achève, et que la réouverture des théâtres est annoncée, retrouvons ainsi le plaisir du verbe et du jeu dans les salles, qu’elles soient de classe ou de spectacles !

Philippe Guyard

Pour en savoir plus
ANRAT c/0 F93 - 70 rue Douy Delcupe 93100 Montreuil

 

Voir les commentaires

Rédigé par Collectif pour l'éducation par l'art

Repost0

Publié le 28 Novembre 2020

Conversation passionnante enregistrée le 21 novembre 2020 dans le cadre du festival I-nov-Art au Théâtre Dijon Bourgogne - Centre dramatique national

Il est question d'éducation, d'art, de culture...

Voir les commentaires

Rédigé par Collectif pour l'éducation par l'art

Repost0

Publié le 7 Novembre 2020

Notre ami Jean-Pierre Vincent vient de nous quitter.

En guise d'hommage, l'occasion de réentendre son intervention en mai 2014 à l'ENSATT à Lyon, lors d'une rencontre organisée par notre collectif...

Voir les commentaires

Rédigé par Collectif pour l'éducation par l'art

Repost0

Publié le 4 Novembre 2020

Robin Renucci : « Nos théâtres doivent pouvoir rester vivants »

Le comédien, président de l’Association des centres dramatiques nationaux, estime que les artistes ont un rôle à jouer, notamment auprès des jeunes, en cette période de crise sanitaire.

LE MONDE 4 novembre 2020 /Propos recueillis par Sandrine Blanchard

Comédien et metteur en scène, Robin Renucci est, depuis 2011, directeur du centre dramatique national (CDN) itinérant Les Tréteaux de France et, depuis 2017, président de l’Association des centres dramatiques nationaux, qui regroupe les trente-huit CDN qui maillent le territoire. Il est également membre du Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle.

Le secteur du spectacle vivant a obtenu que, contrairement au premier confinement, la création artistique puisse continuer grâce au maintien des répétitions de spectacles à huis clos et à des enregistrements d’œuvres sans public. Comment s’est faite la négociation ?

Cela fait suite à nos échanges collectifs entre les CDN et avec notre syndicat, le Syndeac. Nous voulions que soient tirés les enseignements de la première période de confinement pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. C’est-à-dire la fermeture complète des établissements, des artistes et acteurs de la vie culturelle cantonnés derrière des ordinateurs et à des interventions par Zoom. Il n’a pas été nécessaire de mener une lutte acharnée pour l’obtenir car c’est du bon sens. Nos lieux doivent pouvoir rester vivants et habités par les équipes artistiques. Mais ce sur quoi nous continuons à être très incisifs, c’est de nous voir rangés, par le gouvernement, dans la catégorie des « commerces non essentiels ». Là, ça ne passe pas.

Le service public de la culture n’est pas en état d’accomplir sa mission de continuité comme d’autres services publics tels que l’école ou La Poste. Or, dans cette période, plus que jamais, nous devons mener notre mission de service public, notamment vis-à-vis des jeunes. Il est indispensable de renforcer notre lien collectif à travers l’art et la culture. Il faut faire entendre que le service public de la culture – les CDN et les scènes labellisées par l’Etat –, payé par l’impôt de nos concitoyens, doit être davantage valorisé. Ce sont des lieux d’intérêt général.

Mais l’objectif actuel, pour lutter contre la transmission du virus, est de diminuer les interactions sociales et les déplacements. Cela semble incompatible avec l’ouverture des théâtres…

Nous ne cherchons pas à contourner les règles, la question sanitaire est première. On a toujours observé scrupuleusement les gestes barrières dans l’accueil du public. Mais il existe une autre question sanitaire qui n’est pas que biologique : c’est celle, problématique, du confinement mental. Il faut être davantage attentif à la destruction du champ symbolique que cela représente, pour deux raisons : le repli derrière ses volets et le repli sur des outils, des programmes déstructurants où on est dans la pulsionnalité. Quand je dis cela, je pense à la jeunesse. Dans le contexte actuel dominé par le numérique et les écrans, il serait salutaire d’offrir aux jeunes la confrontation sensible avec des œuvres qui les encouragent à développer leur esprit critique et leur discernement, à se forger des outils pour penser et pour se construire : à s’émanciper.

C’est pour cela que vous demandez également que l’éducation artistique et culturelle soit poursuivie et amplifiée au sein des établissements scolaires pendant cette crise ?

Puisque l’école, les collèges et lycées restent ouverts, poursuivons, en profondeur, les actions d’éducation artistique et culturelle pour éviter de se retrouver uniquement en situation de Covid et de Vigipirate. Nous alertons pour que cette période ne ferme pas les portes des établissements. Il faut que les artistes maintiennent leur présence au plus près d’une jeunesse durement frappée par la crise actuelle.

«Il est indispensable de renforcer notre lien collectif à travers l’art et la culture»

En cette période de laïcité, on a manqué l’occasion de mettre l’art, les acteurs et les auteurs dans les classes lundi matin 2 novembre lors de l’hommage au professeur d’histoire assassiné, Samuel Paty. On aurait pu le préparer. La conjonction entre artistes, éducation et art – le théâtre en particulier, car ses capacités pédagogiques n’ont jamais été aussi nécessaires – reste encore à affirmer dans notre pays. Il est temps de faire davantage appel aux artistes, aux auteurs pour qu’ils interviennent dans les établissements scolaires et participent à la construction collective du champ symbolique, aiguisent les sensibilités, suscitent le désir d’être élevé. L’art est une nourriture de première nécessité indispensable à l’individu. Il doit retrouver le chemin de l’école afin qu’on ne fasse pas, dès l’enfance, des citoyens qui se disent « l’art ce n’est pas pour moi ».

Et puis il faut réfléchir sur le Pass culture, réaffecter le budget de ce projet à d’autres missions car il ne sert ni l’éducation ni la pratique artistique.


Ces dernières semaines, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a perdu l’arbitrage sur l’assouplissement du couvre-feu pour les salles de spectacle et de cinéma. Le mot « culture » n’a pas été prononcé par Emmanuel Macron lors de son allocution annonçant un deuxième confinement et les librairies restent fermées. Qu’est-ce que tout cela vous inspire ?

Tout cela fait entendre et comprendre le peu d’intérêt que notre exécutif a pour l’art et la culture partagée par tous, avec tous. Roselyne Bachelot a fait ce qu’elle a pu. Elle nous suit. La question, c’est Emmanuel Macron. Le libéralisme et la pensée du court-termisme ne peuvent pas être liés à la temporalité de l’éducation artistique et culturelle d’un enfant tout au long de sa scolarité, à l’élévation permanente tout au long de la vie. Le capitalisme et le libéralisme ne cherchent pas à ce que les gens aient de l’esprit critique et du discernement.

Dans un confinement « idéal », que souhaiteriez-vous ?

Que le rôle des CDN soit davantage reconnu. Que des élèves puissent se rendre en petits groupes à des répétitions dans les lieux culturels proches de leurs établissements, que des intervenants du monde de la culture puissent continuer à entrer dans les classes. Il faut reparler des fondamentaux de l’école. Aller à l’école, c’est passer de la gesticulation au geste, du bavardage à la parole, de l’excitation à la concentration. Cela rejoint l’objet même du théâtre.

« Il existe une autre question sanitaire qui n’est pas que biologique : c’est celle, problématique, du confinement mental »

Nous ne sommes pas contre l’utilisation des outils techniques au service de l’émancipation, ou la captation des spectacles, mais rien ne remplace l’endroit cardinal de nos actions : être ensemble réunis dans un même lieu, tous singuliers, et regardant dans la même direction, dans un temps donné. Ça, c’est irremplaçable.

Alors que la crise sanitaire risque d’impacter durablement le secteur culturel, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Ni optimiste ni pessimiste, mais combatif. Les grandes histoires sont celles de la conjonction entre l’éducation et l’art. Il faut faire de la formation conjointe des artistes et des enseignants pour retrouver une politique de l’élévation populaire. Je crois sincèrement que les libéraux et capitalistes qui nous gouvernent savent très bien tout cela, mais qu’ils n’en veulent surtout pas. Ils connaissent parfaitement les théories d’Edward Bernays sur le marketing, la manipulation des masses, le consentement à la consommation. Il faut renverser tout cela afin qu’il y ait une autre autorité que celle du marketing.

Voir les commentaires

Rédigé par Collectif pour l'éducation par l'art

Repost0

Publié le 6 Juin 2020

 

ENTRETIEN AVEC PHILIPPE MEIRIEU

 

Philippe Meirieu, professeur en sciences de l’éducation, est également un acteur des réformes éducatives, puisqu’il a notamment été, de 2010 à 2015, vice-président de la Région Rhône- Alpes délégué à la Formation tout au long de la vie. Auteur de nombreux ouvrages sur la pédagogie, il publie fin août Ce que l’école peut encore pour la démocratie (Editions Autrement). Il rappelle ici les limites de l’enseignement à distance imposée par la crise sanitaire. La classe est avant tout un collectif incarné, dit-il. Or, la logique individualiste qui a inspiré la philosophie de la continuité pédagogique perdure aujourd’hui dans l’apologie du télétravail. Face à cela, il propose une mobilisation collective et participative. Pour éviter un retour du « productivisme scolaire », il propose un enseignement notamment fondé sur l’accès à l’art et la culture.

 

 

Globalement, qu’a révélé la crise sanitaire dans le système éducatif

français ?

Tout le monde a légitimement souligné que cette crise était un formidable révélateur

des inégalités. C’est particulièrement vrai en matière éducative : les inégalités

matérielles et sociales, linguistiques et culturelles, ont fait exploser le semblant

d’unité du système. Et ceci jusqu’à une reprise partielle qui a souvent laissé de côté

ceux qui étaient les plus éloignés de l’école et a largement entériné les inégalités

territoriales : à la réouverture des écoles primaires, 10% des enfants du 93 ont été

scolarisés, contre 50% des petits Bretons… ce qui est d’autant plus préoccupant que

le niveau scolaire des premiers est déjà beaucoup plus bas que celui des seconds !

Ensuite, on a laissé les municipalités et les départements, avec les directeurs et

chefs d’établissements, gérer comme ils le pouvaient la contradiction entre

l’injonction faite aux familles d’envoyer leur enfant à l’école et un protocole sanitaire

qui ne permettait pas de les accueillir. Au total, le ministère a quasiment abandonné

toute ambition nationale et a laissé jouer les déterminismes sociaux et les inégalités

entre les territoires : cela a considérablement creusé les écarts. Tout cela a révélé

des fractures qu’on connaissait, mais qu’on ne pourra plus faire semblant d’ignorer et

sur lesquelles il est temps d’agir1.

 

1 Voir, sur ces points, l’analyse de l’auteur pour LE CAFE PEDAGOGIQUE :

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/04/17042020Article637227058065674645.aspx

 

Mais un autre élément fondamental à mes yeux a aussi été révélé, tant par les

modalités de l’enseignement à distance proposées pendant le confinement que par

celle de la reprise sur la base du volontariat des familles et en laissant s’atomiser

complètement le système… c’est la nécessité de faire de l’école un outil de

construction d’un collectif solidaire. Bien loin des songeries scientistes et des

propositions technocratiques qui voulaient laisser croire qu’on pouvait réduire

l’enseignement à la délivrance de programmes individuels de travail, strictement

adaptés à chaque sujet, dans une logique d’exécution et de concurrence, nous

avons redécouvert que l’école, dans sa mission même, devait permettre de créer du

lien social et de construire du commun.

 

En ce qui concerne la continuité pédagogique, qu’avez-vous pensé des

solutions proposées par le ministère et mises en oeuvre par les

enseignants ?

La notion de « continuité pédagogique » a été, d’emblée, ambiguë. Au début, elle a

pu être comprise par certains enseignants et de nombreux parents comme la

garantie que l’école allait continuer comme avant, mais à distance. Le nom même du

dispositif du Centre national d’enseignement à distance (Cned), « Ma classe à la

maison », pouvait laisser penser que l’on « transplantait » tout simplement l’école

dans la famille. Cela s’est vite avéré illusoire : impossible de poursuivre une

progression collective et d’assurer un suivi individuel à travers les outils numériques.

Et pas seulement en raison de l’inégalité des conditions matérielles de travail de

chaque enfant ou de l’imperfection des outils numériques, mais parce que l’activité

pédagogique elle-même est incompatible avec la dispersion et la segmentation de

l’enseignement à distance.

L’école, en effet, n’est pas seulement un « espace-temps » pour apprendre, c’est un

lieu pour « apprendre ensemble », un lieu où l’on respecte les singularités, mais un

lieu, aussi, où l’on accède au « commun » : à des savoirs communs et,

simultanément, à des règles communes qui permettent de travailler ensemble et de

« faire ensemble société ». Une classe n’est pas réductible à une juxtaposition

d’interventions individuelles, aussi ajustées soient-elles. Les apprentissages

comportent une dimension sociale et ne peuvent, en aucun cas, être totalement

« individualisés », même avec des procédures standardisées, « validées » par la

recherche « scientifique ». La classe est un espace symbolique où la figure tutélaire

du maître incarne l’exigence de précision, de justesse et de vérité mais garantit aussi

que chacune et chacun est appelé au partage des savoirs. Et cette garantie

s’exprime au quotidien par chaque geste de l’enseignant, par sa manière d’habiter,

au sens propre et au sens figuré, l’institution.

Certes, on peut imaginer que « quelque chose » de cela peut exister à travers des

dispositifs à distance, mais, de toute évidence, avec une sélection sociale et

psychologique particulièrement sévère. Et, même pour ceux et celles qui surnagent

ainsi, une dimension manque incontestablement : les enfants et les adolescents ont

besoin d’un collectif incarné pour se sentir impliqués et s’engager dans une activité.

La coopération n’est pas seulement un bel idéal, c’est une nécessité vitale que nous

devons mettre au coeur de l’éducation et de l’école. Nous avons besoin, pour cela,

de développer l’entraide entre élèves, les travaux de groupes, la réflexion collective

(avec, en particulier, des « ateliers philo ») et aussi tous les dispositifs qui

ressemblent au « conseil » dans la pédagogie Freinet : des rencontres, organisées

en amont, où tous les élèves peuvent s’exprimer sur ce qu’ils vivent et faire des

propositions qui sont soumises au groupe. Certains enseignants ont tenté de le faire,

tant bien que mal, pendant la période du confinement. Il ne faudra pas oublier que

c’est ce qui a été le plus difficile et qui a le plus manqué à tous nos élèves. Ce devra

être une priorité au moment de la reprise.

 

En quoi la construction de ce collectif vous apparaît-elle si importante

précisément aujourd’hui ?

Parce que nous vivions sur un implicite idéologique que la crise sanitaire a, tout à la

fois, mis à jour et renversé : le fait qu’un collectif ne serait qu’un ensemble d’individus

juxtaposés. Je sais bien que nul ne disait explicitement cela, mais tout se passait

comme si nous validions cela en permanence : les stratégies individuelles, en

matière scolaire, comme en matière de santé ou de culture étaient considérées

comme porteuses de progrès pour tous. C’était l’idéologie des « premiers de

cordée », des « gagnants » et des « start-up », l’exaltation de la sélection par

l’entreprenariat et le mérite individuels. Au bout du compte, la notion de « bien

commun » (au singulier et au pluriel) n’était plus, dans la société, qu’un cachesexe…

Tandis que celle de coopération ne parvenait pas à s’imposer dans les

pratiques pédagogiques ordinaires.

On dira : c’est fini maintenant ! La crise a mis en évidence notre profonde solidarité

et nous entrons dans une ère nouvelle. Est-ce si sûr ? Que penser, par exemple, de

l’éloge du télétravail qui serait amené à se pérenniser pour le plus grand bien de

tous ? Il y a, sans doute, des formes de collaboration possible dans le télétravail,

mais l’idée que la juxtaposition d’individus, chacun derrière leur écran, pourrait

constituer l’équivalent d’un collectif concret est trompeuse : dans le télétravail,

l’activité risque d’être de plus en plus prescrite, avec des protocoles standardisés, et,

surtout, chacun est dans son tube : le cadre ne rencontre plus la femme de ménage.

L’altérité passe sous les fourches caudines du numérique : vous êtes dans un clan,

assigné à la rencontre du même et à la reproduction de ce que vous avez déjà fait :

« Vous avez aimé… vous aimerez (la même chose) », disent les sites d’achat. Tout

le contraire de l’ambition de l’école républicaine où l’on rencontre ceux et ce que l’on

ne connaît pas !

 

Comment, à votre avis, va se passer la rentrée de septembre ?

Il est encore trop tôt pour savoir quelles seront les conditions sanitaires dans plus de

trois mois. Mais je crains qu’il faille se préparer à une rentrée hors-norme. Et je ne

voudrais pas que l’alliance de l’improvisation et de la technocratie nous amène à de

nouvelles absurdités. Il n’est absolument pas envisageable, à mes yeux, même si le

protocole sanitaire à appliquer est sensiblement le même que celui d’aujourd’hui, de

ne laisser venir à l’école que les enfants des parents volontaires : ce serait un recul

démocratique sans précédent. Il ne serait absolument pas acceptable, non plus,

d’imposer aux professeurs de systématiser l’enseignement à distance, comme a pu,

à un moment, le laisser entendre le ministre. Et, bien sûr, je ne voudrais pas qu’on

en profite pour externaliser l’éducation artistique et l’EPS, au risque immense de

renforcer les inégalités entre les territoires et de dessaisir les enseignants de ces

domaines essentiels. A cet égard, la pérennisation du dispositif 2S2C (Santé, sport,

culture, citoyenneté) qui réduit, de fait, les prérogatives de l’école et renvoie des

activités essentielles aux seules responsabilités locales serait extrêmement grave.

Si les conditions sanitaires ne permettent pas de revenir à une scolarisation de tous

les élèves à temps plein, le plus raisonnable serait sans doute d’allier une présence

obligatoire à l’école, éventuellement en utilisant un système de roulement, avec un

complément à distance, et cela pour tous les élèves. Il me paraît absolument

essentiel que tous les élèves soient scolarisés de la même manière dans la même

école !

Mais une telle formule exigera un travail pédagogique de conception et de mise en

place considérable de la part des enseignants et des équipes éducatives. Il faut

anticiper ce travail dès que possible avec les collectivités territoriales et par une

concertation approfondie avec les organisations syndicales, une réflexion avec les

mouvements pédagogiques et une recherche d’articulation optimale avec le Cned et

le réseau Canopé. Il faudra aussi donner du temps aux équipes pour s’organiser :

pas question de se limiter à une journée de prérentrée ! Il faut repousser la rentrée

d’une dizaine de jours au moins pour que, dans toutes les écoles, dans tous les

établissements scolaires, on puisse, non seulement organiser matériellement

l’accueil des élèves, mais aussi préparer leur prise en charge pédagogique.

Il est temps que le ministère et la hiérarchie scolaire changent radicalement

d’attitude : aux injonctions et à l’autosatisfaction, il faut substituer une mobilisation

collective et une vraie confiance dans les personnes. Il faut renverser la pyramide.

L’essentiel, c’est ce qui se joue entre le maître et les élèves : il faut partir de là. Et se

mettre au service de cela. Avec plus d’humilité et de souci d’accompagnement que

de prétention à occuper les médias pour donner à l’opinion publique le sentiment que

« tout est sous contrôle ». Les enseignants n’en peuvent plus d’être « sous

contrôle » !

 

Et, plus généralement, dans quel état d’esprit croyez-vous que les

choses vont reprendre ? Aura-t-on tiré les enseignements de la crise

pour repenser la mission même de l’école ?

Je crains qu’après quelques mois où l’école se sera faite à distance et de manière

perlée, nous assistions à une forme de « productivisme scolaire » : des parents

anxieux et une hiérarchie inquiète peuvent pousser les enseignants à « courir après

le programme » et à chercher absolument à « rattraper le retard ». On risque, plus

que jamais, de se crisper sur une vision étroite des « fondamentaux » (lire, écrire,

compter, mémoriser tout ce qu’il faut pour réussir les contrôles et examens). Nul

doute, d’ailleurs, que les « EdTech » et toutes les officines privées de soutien

scolaire surfent sur la vague et multiplient les propositions alléchantes pour garantir,

moyennant finances, la réussite scolaire !

Or, cela se fera évidemment au détriment de la dimension proprement culturelle de

la transmission, de la réflexion sur les questions fondatrices qui donnent sens au

savoir scolaire, tant dans le domaine scientifique qu’artistique et qu’il revient aux

enseignants de mobiliser. Il ne faudrait pas qu’après une période où nos enfants

auront pu percevoir un bouillonnement intellectuel sur « le monde d’après », l’école

apparaisse comme une manière de « revenir aux choses sérieuses », c’est-à-dire

aux choses qu’on apprend sans réfléchir ni discuter. Il ne faudrait pas, non plus,

qu’après un moment qui a fait apparaître des interrogations existentielles fortes,

l’école sacrifie l’éducation artistique et culturelle, au prétexte que ce n’est pas là

l’essentiel et qu’il faut maintenant « cravacher » pour se remettre à niveau.

Nos enfants auront, en effet, plus que jamais besoin de l’art et de la culture qui

permettent de se construire des images pour « panser » et penser leurs angoisses,

fabriquer du « commun » tout en respectant les singularités. Il faudra donc veiller,

dans le cadre des enseignements eux-mêmes, à ménager des rencontres avec le

vivant, l’inachevé, l’imprévu… et ne pas se contenter de transmettre des « savoirs

fossiles » dans ce que le pédagogue Paulo Freire appelait une « pédagogie

bancaire » tandis qu’à côté les élèves continueront à consommer les standards de

Netflix. Méfions-nous donc plus que jamais de ce qui ferait perdre tout son sens à

l’Ecole : la séparation entre des « fondamentaux » que les enseignants seraient

chargés de transmettre au forceps et la culture, littéraire et scientifique, artistique ou

physique, qui serait externalisée et tributaire des initiatives locales.

 

Pourquoi cette dimension culturelle est-elle si importante à vos yeux

pour notre avenir ?

Parce qu’elle est profondément subversive, au meilleur sens du terme : elle permet

de se reconnaître dans l’objet artistique ou culturel sans être violé dans son intimité.

Elle offre une médiation infiniment précieuse pour se relier aux autres, bien loin du

narcissisme des techniques du « développement personnel » qui font florès

aujourd’hui et prétendent soigner l’individu alors qu’elles l’enferment dans son

individualisme. Ne doutons, en effet, que le « marché du bien-être » cherche à tirer

profit de la situation et, avec l’appui de nombreux médias, offre une solution

néolibérale à la crise au risque de saper en profondeur les tentatives de construire

des solidarités.

Contre cette tentation, je crois à la vertu d’une éducation authentiquement

émancipatrice. Quand la société marchande fait miroiter à nos enfants un mondemagasin

offert à leurs caprices, nous devons leur faire découvrir un monde-trésor, un

espace de recherche fabuleux offert à leur curiosité. Quand les médias leur montrent

une réalité qui fascine, sidère ou terrorise et à laquelle il faut se résigner, notre

éducation doit les amener à interroger, questionner, interpeller pour constater que

rien, jamais, n’est définitivement joué. Quand, partout, on leur susurre à l’oreille qu’ils

ne peuvent trouver leur plaisir que dans la consommation effrénée de l’épuisable,

notre éducation doit démontrer, au quotidien, que le vrai plaisir est dans le partage

de l’inépuisable : les oeuvres d’art et de culture, les connaissances et les savoirs, la

transmission et la création… tout ce qui peut se multiplier à l’infini puisque chacune

et chacun, en y accédant, n’en prive personne et que quiconque y accède peut le

partager autant qu’il veut avec autrui… Et c’est bien là, j’en suis convaincu, le noeud

culturel, anthropologique même, de la « révolution » qui nous sauvera peut-être…

 

Propos recueillis par Xavier Molénat et Naïri Nahapétian

Publiés dans la Revue Alternatives économiques

 

Voir les commentaires

Rédigé par Collectif pour l'éducation par l'art

Repost0

Publié le 1 Mai 2020

Philippe Meirieu : « Arrêtons de totémiser le numérique ! »

Professeur de pédagogie, Philippe Meirieu s’interroge sur l’école aujourd’hui dispensée à distance et les difficultés induites pour les élèves les moins favorisés. Avant les problèmes de la reprise future… (Cet article est paru dans POLITIS en accès libre. Politis ne vit que par ses lecteurs, en kiosque, sur abonnement papier et internet, Ce choix a un coût, aussi, pour contribuer et soutenir son indépendance, achetez Politis, abonnez-vous.)

 

Théoricien et pédagogue progressiste reconnu, Philippe Meirieu travaille depuis longtemps sur l’école, et particulièrement sur les inégalités entre enfants, qui handicapent sa mission émancipatrice et éducatrice. Depuis la fermeture générale des établissements scolaires en France en raison de la crise du Covid-19, il analyse les problèmes suscités par l’enseignement à distance via Internet. Face à la «fracture numérique» et aux inégalités sociales, il rappelle notamment le rôle essentiel, pour le développement des enfants, de l’institution scolaire, indispensable lieu de collectif et de solidarité.

Vous expliquez dans un texte récent que cette crise du coronavirus a montré, «en creux», «l’importance de faire la classe, ou de faire l’école», qui est indissociable d’un «espace-temps collectif et ritualisé où la parole a un statut particulier». Mais, surtout, combien «les outils numériques d’aujourd’hui semblent porteurs d’une logique individuelle et techniciste». En quoi ces outils pèchent-ils en matière d’éducation?

Philippe Meirieu: Je voudrais remonter un peu dans le temps pour rappeler ce qui est au fondement de l’école républicaine, chez Jules Ferry mais surtout chez celui qui en a théorisé le projet: Ferdinand Buisson. Il a souligné dans son célèbre Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire que l’école n’est pas simplement un lieu pour apprendre, mais un lieu pour «apprendre ensemble». Et le mot «ensemble» est tout aussi important que celui d’«apprendre» !

Dès le départ, cela a été un projet très clair et très explicite de la République, qui a ensuite été fortement revivifié après la guerre de 1914-1918, lorsqu’est né un grand mouvement d’intellectuels, d’universitaires et d’ouvriers qui s’appelait les Compagnons de l’université nouvelle, et dont le principal slogan était qu’il fallait que les fils et les filles de ceux qui avaient veillé ensemble dans les mêmes tranchées puissent apprendre, côte à côte, sur les bancs de la même école. Cette volonté a été réaffirmée par la suite de façon assez extra-ordinaire par celui qui fut sans doute le meilleur ministre français de l’Éducation nationale, Jean Zay, au cours des gouvernements du Front populaire. Il a vraiment fait de cette rencontre entre les individus pour construire du commun le cœur de l’école républicaine. Enfin, c’est le projet que l’on trouve au centre du texte issu du Conseil national de la Résistance, le plan Langevin-Wallon, qui demeure mythique en la matière pour la gauche: l’idée d’une école commune qui est l’institution d’un collectif et d’une préfiguration d’un lien social, donc de la société.

Par rapport à ces enjeux, on a vu pourtant monter, ces dernières années, l’idée que le numérique allait pouvoir se substituer à l’école.

Comment cela s’exprime-t-il?

Chaque année se déroule à Doha un grand forum, le World International Summit of Education (Wise), financé par la troisième épouse de l’émir du Qatar, où l’on invite les grands seigneurs du numérique, en particulier des Gafam (1). D’année en année, on voit monter en puissance l’influence de ce Wise, qui en est à sa neuvième édition et qui, récemment, s’est décentralisé, notamment en France, avec la participation des plus grands journaux du pays.

L’idée peu à peu mise en avant est que la classe, l’école, serait une forme obsolète d’enseignement qu’il s’agirait de remplacer par un système (qui est déjà dans les tuyaux de Google) où l’on testerait les enfants d’une manière systématique pour savoir comment ils fonctionnent sur le plan de leur intelligence. À partir de là, chaque individu se verrait proposer un programme d’enseignement strictement personnel qui serait, évidemment, vendu aux familles et permettrait aux enfants de suivre de chez eux, sur ordinateur, toutes les matières grâce à un serveur géant potentiellement situé dans les îles Caïmans pour être défiscalisé!

Si vous prenez les comptes rendus annuels du Wise (par exemple dans Le Monde, qui est partenaire de ce «sommet» et dont le Qatar achète en outre des pages pour en faire la publicité), vous vous apercevez que les Gafam, en particulier une société comme Microsoft, misent des sommes absolument colossales sur une telle perspective à court ou moyen terme… Les enjeux financiers sont énormes et ces projets sont relayés en France par ceux qu’on appelle les «EdTech», c’est-à-dire les entreprises qui proposent de nouvelles «technologies d’éducation» et veulent vendre des logiciels individuels.

Ce qui, selon vous, serait source d’un certain nombre de problèmes…

Une telle perspective est porteuse d’une série de problèmes extrêmement graves. Tout d’abord, bien sûr, le fait de tester tous les enfants à partir d’un certain âge et de considérer que le résultat dicterait inévitablement leur développement futur – comme s’il n’y avait pas d’événements susceptibles de venir modifier leur histoire. Ensuite, cette évaluation – figée à un moment donné à partir du comportement de l’enfant relevé sur un ordinateur ou une tablette – permettra la construction de logiciels supposés être adaptés à tout ce qu’on aurait détecté chez cet enfant comme aptitudes, préférences, modes de fonctionnement, stratégies d’apprentissage, etc.

Les laudateurs d’une telle proposition expliquent qu’il faut absolument que les Français s’y mettent car, sinon, ce seront des logiciels états-uniens qui emporteront ce marché gigantesque. Il y a là des intérêts financiers colossaux puisqu’un des enjeux de la crise que nous traversons actuellement est de savoir si les Gafam vont se trouver renforcés et devenir des super-États aux pouvoirs immenses, ou si l’on va se réapproprier le numérique dans le cadre d’une économie contributive. Par exemple, même si malheureusement on ne semble pas du tout en prendre le chemin, va-t-on délibérément utiliser les logiciels libres plutôt que ceux des Gafam? Va-t-on privilégier l’économie contributive, participative, même si elle est encore tâtonnante, à l’instar de Wikipedia, qui est une encyclopédie contributive? Ou les Gafam sortiront-ils grands vainqueurs de cette crise? Et, dans le fonctionnement même de l’école, parviendront-ils à prendre un rôle de plus en plus important pour ce qui concerne la relation pédagogique et la transmission des savoirs? C’est là un enjeu économique, sociétal et pédagogique majeur, car, si c’était le cas, on assisterait à une forme d’homogénéisation, d’individualisation, de fragmentation et surtout de financiarisation de l’éducation.

Cette inquiétude s’étend aussi au rôle de l’enseignant lui-même…

Tout à fait. Il faut rappeler que l’enseignant n’est pas seulement un distributeur et un correcteur de cours et d’exercices, de fiches et de logiciels. L’enseignant est un expert de l’apprentissage; c’est quelqu’un qui prend des informations dans la classe, qui observe, adapte, régule, qui utilise des outils mais les modifie aussi peu à peu, et qui est capable de créer de l’entraide, de l’interaction, de la coopération, donc de susciter du commun.

On parle aujourd’hui de solidarité à tout-va, et l’on découvre en effet que nous avons tous un destin commun du fait du virus. Mais la question posée est de savoir si l’école sera capable de continuer à créer du commun, ou si elle se bornera à juxtaposer des élèves devant des ordinateurs. Un tel modèle, qui se serait infiltré à l’occasion du confinement, ne va-t-il pas progressivement s’imposer au détriment du caractère collectif, instituant de l’école, et de sa fonction fondamentale, qui est de permettre aux enfants de découvrir que le bien commun n’est pas la somme des intérêts individuels?

Vous venez d’esquisser ce que serait l’école du pire. Mais quelle école appelez-vous de vos vœux?

Il est incontestable que l’enseignement à distance, via le numérique, creuse les inégalités. Sans même aborder la question de l’accès au numérique en tant que tel, celui-ci accroît les inégalités puisqu’il met en lumière une certaine acculturation. Si je cite quelques vers d’un poème de Paul Valéry et que je veux chercher son auteur, il est certain qu’il me faut déjà le connaître. Si je ne le connais pas, je ne peux pas le chercher. C’est là un des exemples les plus basiques montrant que le numérique accroît les inégalités entre élèves.

Le numérique est utile pour ceux qui peuvent être considérés comme «moyens» ou «bons» (avec tous les guillemets de rigueur) et «appliqués» ou «consciencieux». On leur donne ainsi des exercices à faire, on leur propose des textes à lire, on leur suggère des activités à réaliser… En général, ils le font, et cela peut leur profiter. En revanche, le problème apparaît clairement pour leurs camarades qui seraient moins «doués», c’est-à-dire ceux pour qui la motivation pour le travail n’est pas déjà présente, ceux qui ne savent pas s’organiser et qui ne savent pas faire les distinctions élémentaires entre ce qui est le plus utile et ce qui est le plus facile. Car la caractéristique d’un «bon élève», c’est qu’il va le plus souvent commencer par le plus difficile, parce qu’il sait ce qu’est le plus utile. Et ce qui est le plus facile, il ne le fera pas, parce qu’il sait déjà le faire. Alors que l’élève en difficulté commencera par le plus facile et ce qu’il sait déjà faire, et ne fera pas le plus difficile, ou ce qu’il ne sait pas faire, ou ce qui lui paraît le plus difficile. On voit bien là que le simple fait de proposer, par des systèmes à distance, des exercices standardisés creusera les inégalités.

Le président Macron a dit lui-même la nécessité de lutter contre les inégalités, reconnaissant ainsi que l’enseignement à distance les augmentait, et c’est la raison pour laquelle il appelle à la réouverture des écoles le 11 mai. Bien sûr, on peut s’interroger sur les réelles motivations de cette mesure, qui pourraient être d’abord économiques dans la mesure où elles permettront aux parents de retourner au travail.

Sait-on dans quelle mesure les inégalités se sont accrues?

Jean-Michel Blanquer a évoqué un chiffre entre 5% et 8% d’élèves qui ont «décroché». À ce jour, on a une idée imprécise du nombre d’élèves avec lesquels on a pu établir un contact par téléphone, via le numérique ou par la distribution de documents papier – qui n’a commencé qu’il y a deux semaines. Si mes informations sont exactes (à travers notamment un sondage de France Info auprès de seulement quelques lycées), la proportion d’élèves soit qui auraient complètement décroché, soit qui ne sont pas suivis régulièrement par les professeurs, soit qui n’ont rendu que quelques exercices ponctuellement s’élèverait autour de 40% dans les lycées -professionnels, et au minimum à 20% dans les autres établissements. Ce qui est loin d’être négligeable! C’est pourquoi je dis qu’il faut arrêter de totémiser le numérique. En fait, cela ne résout des problèmes que pour ceux qui n’ont pas de problèmes, c’est-à-dire ceux qui ont déjà envie d’apprendre, qui sont déjà autonomes et qui ont un environnement familial favorable. Pour les autres, on n’entrera jamais en concurrence avec les jeux vidéo et les séries de Netflix!

Pour autant, le numérique n’a-t-il que des aspects négatifs?

On constate qu’aussi bien les professeurs que les élèves renvoient à la nécessité d’avoir du collectif. Ce collectif est très compliqué à construire par le numérique, mais il y a des collègues qui y parviennent. On observe également que certains professeurs arrivent à créer des relations entre leurs élèves, c’est-à-dire à susciter de l’écriture collective. J’en ai même vu qui font du théâtre via le numérique! Mais cela reste très difficile à construire et l’immense majorité des enseignants n’est pas formée à cela. En outre, les outils dont nous disposons n’y invitent pas spontanément. Ce ne sont pas vraiment des éléments d’une économie contributive, où le numérique serait un instrument de coopération. Le numérique tel qu’il est aujourd’hui reste guidé par des intérêts financiers qui en font, pour l’essentiel, un outil de consommation. Or nos enfants, pour apprendre mais aussi pour leur équilibre personnel, ont d’abord besoin du collectif.

Vous réjouissez-vous alors de la reprise des cours annoncée pour le 11 mai?

En dépit de tout ce que je viens de dire, je suis très partagé. Comme la plupart des enseignants, je suis très inquiet d’une reprise de la pandémie, de la survenue d’une -deuxième vague. J’ai peur qu’en l’absence de préparation, sans désinfection complète des écoles, avec le manque de masques, l’épidémie ne reprenne. Mais, en même temps, j’observe qu’il y a beaucoup d’enfants dont la solitude scolaire est très grande, y compris lorsqu’ils ont plusieurs frères et sœurs, qu’ils vivent très mal cette situation et qu’ils ont maintenant un grand besoin de collectif. Tous les psychologues le disent depuis longtemps: un enfant ne se développe pas sans un contact avec un groupe. En outre – et j’avais déjà cette conviction avant la crise –, un enfant ne se développe bien que dans la coopération avec les autres.

L’école que j’appelle de mes vœux est une école de la solidarité. La concurrence sera supplantée par une solidarité plus grande, où les élèves (et les profs, d’ailleurs) ne seront pas systématiquement mis en situation d’être évalués en permanence sur des contenus standardisés, mais plutôt de contribuer à des projets collectifs. J’espère que c’est vers cela qu’on va, mais rien n’est joué aujourd’hui. Le risque existe qu’on choisisse au contraire la voie d’un individualisme exacerbé et d’un désir accru d’arrivisme individuel.

 

(1)Acronyme pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, soit les cinq plus grandes sociétés de l’internet, dont les budgets équivalent, voire dépassent, ceux des États les plus riches de la planète…

Philippe Meirieu Professeur de sciences de l’éducation et de la pédagogie à l’université de Lyon-II.

Les interventions de Philippe Meirieu pendant la crise du Coronavirus sont rassemblées ICI

Voir les commentaires

Rédigé par Collectif pour l'éducation par l'art

Repost0